Société d'Histoire de Revel Saint-Ferréol                          -                                      Cahier d'Histoire de Revel  N° 20       pp 109-112

 

Le chapon de Saint Julia

par René Batignes

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RETOUR CAHIER D'HISTOIRE N° 20

Ce que je vais vous conter, braves gens, se passait    dans les temps anciens, bien loin de la frénésie de la vie actuelle. Cela est une drôle d'histoire qui est arrivée tout à fait par hasard à un brave coq de campagne, qui ne se doutait pas du tout qu'un jour il ferait la renommée du joli village de Saint Julia. Donc, voici l'histoire vraie ou presque de ce fameux coq.

Chantecler était son nom, et n'avait pas son pareil pour réveiller les gens bien avant que le soleil se lève. Sur les barreaux du poulailler où il se perchait, à gorge déployée, il criait et Sidonie, sa patronne, l'avait choisi car il était tellement beau avec ses plumes rouges et noires, sa crête raide le faisait ressembler à un cardinal, que dis-je, une véritable couronne pour cet empereur des emplumés et sous le bec une paire de bajoues qui lui donnaient un air plus respectable qu'un juge d'instruction. Cela n'était pas uniquement ce qui avait conduit la Sidonie à le choisir comme directeur du poulailler.

Notre Chantecler était ce que l'on appelle bien monté et cela était très utile avec la cinquantaine de poules qu'il devait contenter. Aussi, il n'avait pas fait  dix pas qu'il se mettait à l'ouvrage et comme on disait d'un autre coq célèbre « Comme le coq d'En Paute, de sur une, il saute sur l'autre », notre Chantecler, avec son bec, accrochait la crinière de ses compagnes et de ses ergots, accrochait leur dos. A chaque coup dans le mille, ces caqueteuses en avaient pour leur argent et, passé ce moment, elles revenaient vite au poulailler en chantant pour y faire un bel œuf. La Sidonie était bien contente de son maître coq, d'autant que, quand une de ses poules devenait glousse, elle lui faisait couver dix huit œufs qui s'avéraient tous bons et cela donnait dix huit poussins qui venaient grossir le cheptel du poulailler en prouvant que notre chanteur «était aussi un bon père ».

A l'époque dont je vous parle, les poules dans nos fermes étaient en totale liberté et se promenaient toute la journée à travers champs. Tout ce travail et ce cheminement faisaient que les coqs de fermes, comme notre Chantecler, ne s'étouffaient pas avec la graisse qu'ils avaient sur eux, cela leur prolongeait la vie jusqu'au jour où ils passaient à la casserole après de nombreuses années de service. Pour pouvoir le manger, il fallait le faire cuire au moins une semaine à la soupe de tous les jours. Mais maintenant, nous arrivons au point crucial de notre histoire. Vous savez tous que dans les temps anciens, notre région était couverte de beaucoup de forêts, mais, qui dit forêts, dit bêtes sauvages et surtout des renards qui se faisaient un plaisir de prendre le déjeuner dans la couvée de poules qui gambadaient alentour.

Cela arrivait de temps en temps à la pauvre Sidonie qui voyait qu'il lui manquait quelques pensionnaires, elle entendait bien notre Chantecler crier au fond de la vallée, mais cela ne suffisait pas à maître Goupil qui emportait un joli déjeuner au fond du bois. Un jour qu'elle en avait assez de voir disparaître ses pensionnaires, elle dit au Joseph, son mari :

 « Joseph, il faut que nous fassions quelque choses pour arrêter le renard de nous bouffer les poules ! ».

 Le Joseph qui avait déjà beaucoup de travail avec ses vaches et ses chèvres, se mit à calculer ce qu'il pouvait bien inventer pour arrêter ce carnage. Il se gratta la tête un moment et il dit à Sidonie «  j'ai trouvé, je vais placer le long de la forêt des traquenards qui nous servent pour attraper les loups ! ».

 

Dernier baroud d'honneur des plantureux capous devant la belle église emblématique de Saint Julia, encore empanachés mais décrétés et dépourvus de leur instrument de conquête.

 

Où sont nos coqs hardis, vigoureux qui paradaient, se pavanaient, puis jouaient à saute-croupion… ?

Il faut dire qu'à cette époque, les loups affamés descendaient souvent de la Montagne Noire et n'hésitaient pas à attaquer les habitants de la région donc, tout le monde était équipé de traquenards pour les attraper. Chose dite, Joseph descendit au bord du bois, le long du ruisseau de Peyrencou pour y placer des traquenards aux endroits où il pensait que le renard passerait. Il les couvrait d'herbe sèche pour les camoufler et revenait à son travail à l'étable ou au pré.

 Le lendemain de cette affaire, comme chaque jour, notre Chantecler cria l'arrivée du jour et sortit avec toute sa cour par le petit trou du poulailler. Il n'était pas plus tôt dehors que notre Don Juan se mettait à l'œuvre, ce n'était pas le travail qui lui manquait.

Passé ce premier temps de protocole habituel, le voila qui prend le chemin des champs, tout fier et caqueteur, en tête de son armée de soupirantes. « Suivez-moi », il leur disait en gonflant les ailes. Les poules, comme vous le savez, sont des bêtes qui passent leur vie à gratter tout le long de la journée et maître coq faisait pareil. Dès qu'ils voyaient quatre pailles, les voila qui grattent, qui gratteront pour voir si dessous il n'y aurait pas quelque graine ou quelque ver pour se l'envoyer dans le jabot. Celà dura toute la matinée, de temps en temps Chantecler les appelait : « venez là, il y a de quoi gratter ! », les autres ne se le faisaient pas dire deux fois et elles s'empressaient de le rejoindre.

Tout ça se passait comme d'habitude le long du chemin de terre qui descendait vers le ruisseau de Peyrencou, tout en grattant et en chantant. Tout d'un coup, notre matamore avisa un petit tas d'herbe sèche au bord du ruisseau « venez vite ! » dit à ses copines le maître du poulailler, je vais commencer à dégager le secteur pour voir s'il y a quelque chose de bon là-dessous ! ».

Notre coq ne se doutait pas du tout que sous cette herbe se trouvait le traquenard placé par Joseph. Pauvres enfants, il n'eut pas gratté deux fois que le traquenard sauta, se fermant brutalement sur les « coucougnettes » de notre Chantecler. Le voilà qui se met à crier vers ses poules qui s'étaient mises à caqueter « tirez-moi de là, au lieu de discuter ! ».

Les poules tournèrent autour du traquenard où notre coq était prisonnier avec ses parties précieuses coincées par les dents du terrible engin. Elles essayèrent de gratter, de piquer du bec mais rien n'y faisait, notre coq qui continuait à hurler à l'envers ne pouvait pas se sortir. Alors, dans un effort suprême, il se mit à tirer, à tirer malgré les douleurs et ce qui devait arriver, arriva. Tout d'un coup, notre coq tomba lui d'un côté et les coucougnettes de l'autre. Voilà qu'il reprit le chemin de la ferme et tout honteux de sa nouvelle situation, il partit se cacher au fond du poulailler.

Les jours suivants, la Sidonie se posait des questions, elle n'arrivait pas à comprendre pourquoi, tout d'un coup, notre Chantecler ne chantait plus à l'arrivée de l'aube, ni pourquoi il ne galopait plus les poules en sortant du perchoir, elle avait remarqué aussi que la crête et les bajoues s'asséchaient. « Peut-être il est fatigué, se disait la Sidonie, nous allons attendre quelques jours, peut-être ça lui passera ! »

Mais les jours passaient et rien ne changeait chez notre coq. « Il n'est pas malade, se disait la Sidonie puisqu'il engraisse à vue d'œil, la seul chose qui m'inquiète c'est qu'on dirait qu'il change de parole, il parle comme une glousse maintenant ! ».

Et c'est comme ça braves gens, vous pouvez me croire, que naquit le premier chapon de notre chrétienté.

Les gens de nos campagnes informés de l'évènement se mirent à refaire le coup du traquenard à tous les poulets qu'ils voulaient engraisser et cela dure depuis la nuit des temps, et, c'est ici, à Saint Julia que cela se passa.

Vous ne trouverez pas cela dans l'histoire de France, bien sûr, car pendant longtemps nous avons voulu cacher ce secret. Pourtant, bien des années plus tard, notre village de Saint Julia devint célèbre grâce à ces fameux chapons qui lui ont donné son nom. Ceci est une autre histoire que je vous raconterai une autre fois.
René Batignes
Membre de la Société d'Histoire de Revel-St-Ferréol

… La version occitane

Lé Capou dé San julia

Aco qué bous baouc, brabé moundé sé passabo dins lés témpsés anciens, pla lén dé la frénésido dé la bido actuèllo. Aco és uno drollo d'histouèro qu'arribèt tout à fait pér hasart à un brabé poul dé campagno qué sé doutabo pas brico qu'un joun fario la rénoummado dél poulit bilatgé dé San Julia. Dounc aquiu l'histouèro ou presqué d'aquél famus poul.

Cantoclar éro soun noum, et n'abio pos soun parèl pér rébéilla lé moundé pla abant qué lé soulél sé lébèsso. Sus ésparrous dé la galinièro oun sé troubabo trinchat a gorjo désplégado bramabo cado matis « Lébaï bous, és ouro » é toutis lés pouls dé la régiou réplicabon dé mêmés. Cantoclar èro lé poul dé la Bariobasso, la Sidonie la séou mestro l'abio caousit pér qu'éro tallomén poulit abé sas plumos rougeos et néïgros, sa crésto réto lé fasio réssémbla à un cardinal, qué disi, uno véritaplo courounno pér aquél émpérur des émplumats, et t'abio joul béc un parél dé barbolos qui dounabon un aïré pus respectablé qu'un jutgé d'énstructiou. Aco n'éro pas uniquomén ço qu'abio coundésit la Sidonie à lé caousilé coummo directou dé la galinièro. Nostré Cantoclar èro ço qu'in appèlo pla mountat é aco èro pla utilé abé la cinquanténo dé poulos qué dibio counténta. Tabés abio pos faït dèx passés qué sé métio à l'oubratgé et coummo sé disio d'un aoutré poul célèbré, coummo lé poul d'En Paouto dé sur uno saoutabo sus l'aoutro, nostré Cantoclar abé lé bèc accrouchabo la crinièro dé sas coumpagnos é dé sous érgots y arrapabo l'ésquino.

A cado pét soun esclo, aquélos caquétaïros n'abion pér soun argén é passat aquél moumén s'én tournabon bité à la galinièro én cantan pér y fasé un poulit ioo. La Sidonie éro pla counténto del trabal dé soun mestré poul, d'aoutant qué quant uno d'aquélos poulos bénio clouco, y fasio coua doso beït ioos qu'é s'abérabon toutis bous et aco dounabo doso beït poulétous qué bénion groussi lé cheptel dé la galinièro én prouban qu'é nostré cantaïré èro tabés un boun païré. A aquélo époquo doun bous parli las poulos dins las borios èron én toutalo libertat é sé précassabon touto la journado a trabés  campsés. Tout aquél trabal et aquél caminomén fasion qué lés pouls dé borios coummo nostré Cantoclar s'éstoufabon pas abé lé graïs qu'abion sur èlis, aco y prouloungabo la bido, jinquos lé joun oun passabon à la cassérolo aprèp dé noumbousos é loungos annados dé serbici. Pér poudé lé mantja callio lé fa quèsé al méns uno sémmano à la soupa dés cado jouns.

Més aqui arriban aro à un punt crucial dé nostro histouéro. Sabés toutis qué dins lés tempsés ancièns  nostro régiou éro cuberto dé pla dé bosquis, mè qui ditz bosquis ditz bestios salbatgeos é sustout dé raïnarts qué sé fasion un plasé dé préné lé déjuna dins la couado dé poulos qué campéjabon aléntour. Aco arribabo dé témps én témps à la paouro Sidonie qué bésio qui mancabo toujoun calquo pénsiounaïro, énténdio pla nostré Cantoclar brama al found dé la coumbo, més aco suffisio pos à fa poo à mestré Goupil qué s'émpourtabo un poulit déjuna al found dél bosc. Un joun qué n'abio prou dé bésé disparéssé sas pénsiounaïros diguèt al Jousépou lé séou omé : »
Jousépou nous cal fa quicom pér arrestalé raïnart dé nous tchapa las poulos ! » Lé Jousépou qu'abio déjà pla dé trabal abé sas bacos é sas crabos sé méttèt à calcula ço qué pourrio pla émbénta pér arrésta aquél carnatgé. Sé gratèt la coujo un moumen é diguèt à la Sidonie : « Et troubat m'en baouc plaça lé loung dél bosc dé tracanarts qué nous sérbissén pér trappa lés loups ».

Cal diré qu'à n'aquélo époquo lés loups affamats déscéndion soubén dé la Mountagno Neïgro é hésitabon pas à attaqua lés habitans dé la régiou, dounc tout lé moundé èro équipat abé dé tracanarts pér lés attrapalés. Caouso dito, nostré Jousépou déscéndèt al brot del bosc lé loung del riou dél Peyréncou pér y plaça dé tracanarts as éndréïssés oun pénsabo qué lé raïnart passario é lés acatèt abé un paouc dé pélénc séc pér lés camouflalés é s'éntournèt à soun trabal à l'estaplé é al prat. L'éndouma d'aquesté affa, coummo  cado joun, nostré Cantoclar bramèt l'arribado dél joun é sourtisquèt abé touto sa cour pél pitchou traouc dé la galinièro. Ero pas pus léou défforo qué nostré Don Juan sé méttèt à l'obro, éro pas lé trabal qui mancabo.

Passat aquél prumiè témps dé protocolo  habituel , allé aqui què prèn lé cami dés campsés, tout fier et caquétarïé én testo dé soun armado dé soupiréntos. « Segui-seïmé » y bénio én coufflant las allos. Las poulos coummo sabètz soun dé bèstios qué passon sa bido à gratta tout lé loung dé la journado et mestré poul èro parèl , én tré qué bésion quatré paillos, allés aqui qué gratton qué grattaranh pér bésé sé déjoutz y aourio pos calquo grano ou calqué berp qué s'émbouïarion dins lé paf.

Aquo durèt touto la maïtinado, dé témps én témps, Cantoclar las appélado « Bénetz aqui y a dé qué gratta », las aoutros sé ba fasion pos diré dous cops é s'émpréssabon dé lé réjoindré. Tout aco sé passabo pla coummo d'habitude lé loung dél carrétal qué déscéndio bès lé riou dél Peyréncou, tout én grattan é én cantan. Tout d'un cop, nostré matamoré abiso un manat dé pélénc séc al bort dél riou . « Bénétz bité », diguèt à sas coupinos lé mestré dé galinièro, bous baouc coumménça à dégatja lé sectou pér bésé sé y a quicom dé bou aqui déjoust. Nostré pouls é doutabo pas brico qué joust aquélo herbo séco sé troubabo lé tracanart plaçat  pél Jousépou. Paouré effant, atchèpos grattat dous cops qué lé tracanart saoutèt é sé tampèt brutalomén sus las coucougnétos dé nostré Cantoclar. Allé qui qué sé fout à brama bès sas poulos qué s'éron mésos à caquéta « Tiraïmé d'aqui, ou loc dé tcharra » Las poulos birèron al tour del tracanart oun nostré poul éro prisounié abé sas partidos préciousos couénçados pés las dénts dél tarriplé utis. 

Enségèron  dé gratta, dé pica dél béc, mès rés à fa, nostré poul qué countinuabo à brama al rébetz poudio pos sé sourti. Alors, dins un efforts suprêmé sé mettet à tira, à tira, malgré la doulou et ço qué dibio arriba, arribèt, tout d'un cop, nostré poul toumbèèt, él d'un coustat é las coucougnétos dél aoutré.  Aqui qué tournèt trappa lé cami dé la borio é tout bérgougnous dé sa noubello situatiou, partisquèt s'amaga al found dé la galinièro.

Lés jouns aprèp, la Sidonie sé paousabo dé questious, arribabo pas à coumpréné pér qué tout d'un cop nostré Cantoclar, cantabo pas maït l'arribado dél aoubo, ni pérqué galoupabo pas maït las poulos én sourtin dél jouquiè, abio rémércat tambés qué la cresto et las barbolos s'y sécabon.  « Bélèou és fatiguat, sé dis jo la Sidonie, anan atténdré calqué joun, bélèou y passara ». Mès lés jouns passabon é rés cambiabo pér nostré poul. « Es pos malaout, sé disio la Sidonie, puisqué éngraïsso à bisto d'él, ço soul qué m'énquièto és qu'on dirio qu'a cambiat dé paraoulo, parlo coummo uno clouco aro ».

Es atal brabé moundé m'én poudètz créïré qué nasquet lé prumiè capou dé nostro chrétientat. Lé moundé dé las campagnos énfourmatz dé l'ébénomén sé méttèron à réfa lé cop dél tracanart à toutis lés pouléts qué boullion éngraïssa é aco duro démpeï la neït dés témpsés, é és aïssi à San Julia qu'aco sé passèt, ba troubarés pos dins l'Histouèro dé Franço aco pla sigur, pér qué loungtèmps abèn boulgut amaga aquél sécrèt. Pourtant, pla d'annados pus tard, nostré bilatgé dé San Julia bénguèt célèbré gracio à aquélis famusis capous qué y an dounnat soun noum, aquo és uno aoutro histouèro qué bous countaré un aoutré cop.
Lé René dé San Julia

 

Est-ce bien fortuit, accidentel ? …

Pour nous heureux lecteurs des contes et légendes de notre « troubadaïre de San Julia de Laouragès », quelle chance de découvrir cette truculente et cocasse mésaventure !

Allons, il ne faut pas s'en émouvoir, s'attendrir outre mesure, cette histoire guillerette décrite avec un humour frétillant se termine si agréablement dans notre assiette, l'histoire de notre gras capou nous donne un avant goût de sa délectable et onctueuse saveur ! …
Bernard VELAY

 

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